En quête d'espoir | Ft. Perla

Thjazi n'était jamais vraiment surveillé. Tout du moins, certainement pas lorsqu'il s'éloignait du camp de sa meute. Lorsqu'il était question de s'approcher du garde-manger, les choses étaient souvent différentes, mais quand il s'éloignait, c'était comme s'il n'existait plus. Peut-être que certains allaient jusqu'à souhaiter que, tout comme sa mère, la neige finisse par l'avaler à son tour. Mais il finissait toujours à trouver le chemin du retour. Il était prudent, parce qu'il savait le danger que pouvait représenter la belle couverture blanche. Si belle d'apparence, si mortelle en réalité.

Il n'était pas un bon apprenti. Pas même un bon élément de sa meute. Mais s'il y avait bien une chose pour laquelle l'albinos était doué, c'était certainement pour survivre. Après tout, né dans une meute qui ne voulait pas de lui, il avait pourtant jusque-là réussi à tenir bon et à continuer à avancer. Ses os s'étaient plus d'une fois brisés et plus d'une fois son sang avait teinté la neige de cette couleur pourpre qu'il abhorrait - la même que ses iris qu'il détestait tout autant. Mais il était pourtant encore bien présent. Alors, même lorsqu'il partait un peu de la meute, il se débrouillait. Il ne partait jamais bien longtemps cela dit. Parfois, il passait une nuit, rarement deux, un peu plus éloigné. Mais, mauvais chasseur en raison de ses multiples blessures passées comme présentes, il ne pouvait se permettre de demeurer loin des siens trop longtemps.

Pourtant, il avait bien quitté le groupe pour s'enfoncer plus loin sur un territoire qu'il ne maîtrisait, malgré lui, encore que trop mal. Il voulait chercher des plantes. Mais à vrai dire, il ne savait pas même vraiment lesquelles. Un chasseur de sa meute l'avait violemment mordu la veille et la douleur était encore si prenante que Thjazi espérait pouvoir trouver quelque chose qui l'atténuerait.

Il n'était pas certain d'être déjà venu sur ces terres. Une rivière gelée ne courait plus, vestige d'une vie passée, moins glaciale. Peut-être pourrait-il découvrir de nouvelles plantes qu'il ne connaissait pas encore ? Peut-être trouverait-il également de quoi soulager les douleurs qui continuaient trop souvent à transpercer sa patte folle. « Thjazi doit trouver des plantes. Oui. Des nouvelles plantes. Hum. » Il balançait doucement la tête de haut en bas tout en marmonnant des phrases à lui-même alors qu'il avançait au rythme de sa démarche claudicante, ses yeux cherchant avec attention les éventuelles plantes qui pourrait lui convenir. Ou attirer sa curiosité.

Petit, faible, fragile. L'albinos n'avait toujours davantage été considéré comme rien d'autre qu'un poids, un fardeau pour la meute plutôt que comme l'un de ses membres. A ce titre, il n'avait jamais vraiment été encadré et la majorité de ses connaissances venaient de ses propres expériences. Que ce soit dans la recherche et l'utilisation de plantes que pour ce qui était de se repérer sur le territoire. Mais la vérité résidait dans le fait qu'il se débrouillait, pour bien des choses, comme un jeune louveteau débutant. Il n'avait jamais vraiment appris à affiner ses sens et à les mettre en pratique. Il ne savait pas pister les odeurs, être attentifs aux sons et à la force trompeuse que le vent pouvait leur donner tout autant qu'il était bien peu performant lorsqu'il fallait se prévenir d'un danger imminent. Raisons pour lesquelles il n'avait d'abord pas perçu la présence, qui pourtant, n'était pas si lointaine. Peut-être avait-il cru entendre un murmure ? Ou bien n'était-ce que le vent ? Ou bien quelques échos déformés de ses paroles à lui-même ? Le fait est qu'il n'y avait prêté aucune attention.

Ou bien peut-être était-ce parce que, trop concentré qu'il était dans ses recherches, tous ses sens étaient mobilisés dans l'espoir de trouver quelques feuilles ou autres plantes qui pourraient lui être utile. Son regard était plongé en direction du sol, et sa démarche, toujours plus incertaine, cahotait avec lenteur à mesure qu'il longeait l'eau pétrifiée. Et, finalement, coup de chance ou réalisation tardive, Thjazi avait levé le chef et ses yeux carmin s'étaient posés sur cette silhouette, tout proche.

La fourrure sur son échine s'était dressée alors que ses oreilles s'aplatissaient sous l'effet de la peur. Sa tête s'était rentrée entre ses épaules au même titre que sa queue s'était rabattue entre ses cuisses. Son ventre s'était rapproché du sol gelé et le petit loup sale s'était immobilisé, comme si, à l'image de la rivière qui ne courrait plus, il s'était pétrifié à son tour. Seule sa gueule s'activa, articulant mal et lançant à toute vitesse des bribes d'excuses : « Désolé ! Thjazi est désolé. Il n'avait pas vu... Pas vu l'Autre loup. Thjazi est désolé. Thjazi est gentil. Thjazi ne veut pas d'ennuis. Il est désolé. » Ses petits glapissements aigus semblaient sans fin. S'il n'était pas doué avec les odeurs, il n'en restait pas moins qu'il savait avec certitude que cet autre loup, non loin de lui, n'était pas de sa meute.

De quelle meute l'inconnue pouvait-elle venir ? Allait-il avoir des ennuis ? Allait-il se faire attaquer ? Avait-il outrepassé une quelconque frontière ? Etait-elle seulement d'une autre meute ou bien était l'un de ces loups solitaires, vagabonds, qui errent partout comme bon leur semble. Le fait qu'elle soit seule la rendrait-elle seulement moins dangereuse ? L'esprit de Thjazi était agité par une nuée de questions qui ne cessait d'augmenter son anxiété et sa peur. Que pourrait-il bien faire s'il se faisait sauter dessus, là, maintenant ? Il était bien incapable de se défendre. Tout autant qu'il lui serait bien vain de chercher à fuir. Avec une patte folle à traîner, il n'aurait pas eu le temps de faire trois pas que n'importe quelle créature l'aurait rattrapé. Alors un autre prédateur comme un loup, il n'avait définitivement aucune chance.

De toute façon, pétrifié par la peur, il n'aurait tout simplement pas pu fuir. Quand bien même ses pattes le lui auraient permis, quand bien même il ne soit pas l'handicapé de sa meute, il en aurait certainement bien été incapable. Après tout, ce n'était pas une grande nouvelle que d'affirmer qu'il était pitoyable et un incapable sur tous les points.

Quand bien même la louve en face ne sembla finalement pas vraiment agressive, l'albinos ne pouvait s'empêcher de continuer à trembler sous la peur. Elle lui donna même son nom, peut-être en échange du sien qu'il ne cachait jamais au vu de sa façon de communiquer. « Perla est gentille comme Thjazi ? » Lança-t-il finalement, sa voix toujours rendue plus aiguë par sa peur, bien que légèrement plus calme. « Thjazi voulait... Il ne voulait pas traverser de frontière. Il cherchait des plantes. Il est désolé s'il a traversé une frontière... » Il connaissait déjà qu'imparfaitement les terres de son territoire, alors les frontières lui semblaient plus indistinctes encore. Et en réalité, il n'avait aucune idée de s'il avait effectivement outrepassé l'une de ces lignes imaginaires ou non.

Alors que Perla reprend doucement les mots de l'albinos, ce dernier semble se détendre doucement. Sa voix est calme, douce et semble honnête et sincère. Et le fait qu'elle cherche à le rassurer en lui assurant qu'il a tout à fait le droit de se trouver à cet endroit précis et qu'il n'a rien fait de mal achève de le calmer.

Et la suite des paroles de la louve lui font ouvrir grand les yeux d'admiration. Perla est une guérisseuse. Comme lui ! Enfin, presque comme lui. « Thjazi est un apprenti guérisseur Madame Perla ! » Bien qu'il soit de petite taille, et qu'il ne soit pas tout à fait difficile à croire qu'il puisse être plus jeune, le petit mâle ne peut s'empêcher de légère grimacer à l'idée que pourrait se faire la louve à l'image d'un si vieil apprenti. « Il veut bien de l'aide.. Parce qu'il ne connait pas toutes les plantes. Il cherche quelque chose pour une morsure. Et pour sa patte. » La blessure de cette dernière était vieille, pourtant, elle ne s'était jamais remise.

En dépit de ses recherches, il n'avait jamais rien trouvé à appliquer dessus pour faire passer ses douleurs. Alors, lorsque ces dernières se faisaient trop fortes, qu'il avait du mal à dormir parce que le froid n'aidait pas, il ne connaissait rien d'autre que de serrer une branche ou un morceau d'écorce dans sa gueule en espérant que la douleur finirait par s'atténuer et par passer. Mais maintenant qu'il se trouvait face à Perla, peut-être que cette dernière connaîtrait quelque chose. Qu'elle pourrait l'aider à trouver de meilleures plantes que celles qu'il utilisait ? Son regard rubis semblait s'être illuminé d'espoir.