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Deux orbes grises pâles se posent sur le monde qui les entoure. La Reine des glaces venait de poser ses yeux sur l'environnement qu'elle chérissait. Elle a mit des années à construire un clan qui lui ressemble réellement, et il est hors de question que cela change. C'est pour cette raison qu'elle est particulièrement fière de ce qu'elle voit. Il est tôt ce matin, donc les panthères n'étaient pas encore tout à fait réveillées, mais elle s'en moque. Mieux encore, elle apprécie ce moment de quiétude qui n'appartient qu'à elle. La panthère a toujours apprécié ce moment unique au monde, ce moment où le Soleil communique avec le Ciel et où la Nature s'éveille tranquillement. Elle avait, comme, le sentiment que le monde lui appartenait quelques secondes. Délicatement, un sourire naquit sur ses babines, tandis qu'elle s'assoie sur son promontoire. Oui, elle aime son clan. Bien plus qu'elle ne s'aime elle-même, en réalité. Lorsque le Soleil atteint le Zénith, elle finit par se relever. Elle se secoue un instant, passe brièvement sa langue sur son jabot et regarde une dernière fois son clan. Ils s'éveillaient progressivement. Il est donc temps pour elle d'aller marcher, de faire un tour. Elle aime marcher, la Reine. Elle a toujours aimé cela, en réalité. A quoi bon s'encroûter ? Surtout à son âge ... On ne se repose que lorsque l'on est mort, selon elle. Alors, sans attendre une minute de plus, elle prévint Eldarìn qu'elle partait marcher et descendit de son monticule. Elle sait parfaitement où elle va. Elle sait où pouvoir penser, où pouvoir se réveiller convenablement. Ses pattes se posèrent les unes après les autres dans la terre, et la voilà qui s'éloigne de son clan.
Après un certain temps de marche, elle était là. Elle était debout face à son endroit de prédilection, son propre sanctuaire sur ses terres. C'est sans doute pour cette raison qu'elle aimait autant l'endroit où l'ancien Meneur s'était établi. Il avait bien comprit à quel point une rivière est indispensable à la survie d'un groupe. Et maintenant, tout cela lui appartenait. Elle feula de contentement tandis qu'elle observait les remous dans l'eau. Sa langue lapa brièvement l'eau, mais un léger frisson traversa sa nuque. Elle était froide. Comme à son habitude. Tant pis. Finalement, s'assit sur la rive et profita pleinement du bruit de l'eau. Un bruit qui la contentait chaque jour, un bruit qui l'apaisait dès qu'elle l'imaginait dans son sommeil. Soudain, elle sentit comme une présence derrière elle. Mais malgré qu'elle reste continuellement aux aguets, malgré qu'elle se méfie de tout ce qui l'entoure, elle reconnu immédiatement cette dernière. La fusion qui la liait à celle-ci écartait toute méfiance possible. Alors, délicatement, elle se retourna et adressa un tendre sourire à sa cadette. Elle était heureuse, et elle le sera toujours, qu'elle l'ait rejointe sans la prévenir.
Un nouveau lever de soleil démarra cette journée. Je m'étirai longuement, profitant du silence du clan qui dormait encore. J'avais toujours été du genre matinale. Sûrement un restant de mon apprentissage et de mon ancien poste d'Informatrice. C'était dans ces moments que je pouvais me balader sans attirer l'attention. Je savais être discrète. Et je n'avais pas perdu cette bonne habitude. Enfin bonne, tout dépendait de ce que je faisais. Et en l'occurrence, quand je me rendais auprès des membres du clan afin de discuter avec eux, si j'arrivais discrètement, ça pouvait surprendre. J'avais déjà fait peur aux plus jeunes, qui n'avaient pas encore l'habitude, sans faire exprès.
Mais certains, comme ma sœur, étaient à présent habitués et savaient reconnaitre mon arrivée. Enfin, non. Peut-être pas. Peut-être que c'était quelque chose qui nous était propre, en fin de compte. Nous avions toujours eu ce lien intense entre nous au point que je pouvais savoir, et inversement, quand quelque chose la tracassait ou qu'elle n'allait pas bien. Un lien fraternel intense alors que nous n'étions même pas de la même portée.
Elle savait que j'étais derrière elle, même si je n'avais pas forcément fait en sorte de me cacher. Elle se retourna vers moi et me sourit. Je lui rendis son sourire en m'approchant d'elle. Je lui donnais un petit coup de tête affectueux.
"Bonjour, Anahil. Comment vas-tu, de si bon matin ?"
Je m'approchais à mon tour de la rivière afin de boire un coup. La fraicheur de l'eau me redonna un petit coup de fouet qui faisait du bien. De quoi bien commencer la journée.
Depuis qu'elle est née, Anahil a aimé sa cadette dès le premier regard. Dans un premier temps, car en la voyant seule survivante d'une portée, elle savait que cette petite irait bien loin. Dans un second temps, car elle a toujours voulu avoir une petite soeur. Dans un troisième temps, car elle aimait pouvoir prouver à ses parents qu'elle était capable d'être responsable de quelqu'un. Dans un dernier temps, car elle considérait cette soeur comme un cadeau du destin. Donc, elle était, et l'est toujours, convaincue que Nimaëra était un véritable cadeau du ciel pour elle. Elle fera toujours attention à elle, elle la protégera de tout, elle anéantira absolument tout obstacle les séparant. Mais ce que personne ne sait : c'est qu'elle deviendra la pire vengeresse, la panthère la plus dangereuse, si on ose toucher, ne serait-ce, qu'un poil de la plus jeune. Alors, une chose est sûre : elles avaient un lien que personne ne pourrait se vanter d'avoir. Elles étaient totalement fusionnelles. La cadette faisait un geste, elle le devinait immédiatement. Nim's pensait quelque chose, elle le supposait rapidement. Elles se regardaient dans les yeux, elle comprenait immédiatement ce que la plus jeune désirait prononcer. Et la Reine était heureuse. Depuis des années, elle était heureuse de pouvoir vivre quelque chose d'aussi privilégiée avec une autre panthère, elle était heureuse d'avoir un lien aussi fort avec quelqu'un de sa famille. Bien sûr, elle était proche de ses parents, d'Eldarìn, mais avec sa jeune soeur c'était complètement différent. Et cela, rien ne changera. Elle le savait. Elle ferait absolument tout ce qui lui était possible pour cela n'arrive pas.
Et aujourd'hui, tout ce qu'elle pensait était prouvé. En effet, il n'avait pas fallu une seconde de plus à la Meneuse pour qu'elle comprenne que sa cadette était présente derrière elle. Bien sûr, elle n'a fait aucun effort pour se cacher, mais au fil des années, elle avait fini par apprendre à reconnaître sa présence, le bruit de ses pas ainsi que la faible respiration qu'elle pouvait entendre. En réalité, malgré que toutes les panthères pouvaient se ressembler, Anahil est convaincue de pouvoir reconnaître sa soeur parmi milles. Elle était similaire aux autres, mais tellement différente aussi.
" Très bien, encore mieux depuis que tu es là ! " Elle lui rend tendrement son coup de tête. " Et toi ? Comment vas-tu ? " La question était parfaitement sincère.
En effet, depuis quelques années, encore plus depuis qu'elle lui avait proposé sa position de Seconde, Anahil avait le sentiment que sa soeur avait changé. Elle semblait comme ... Nostalgique. Comme si quelque chose lui manquait. Est-ce que cette place lui convenait-elle réellement ? N'était-elle pas trop jeune ? Peut-être que rester à sa place, rester au même endroit n'était-il pas le meilleur plan pour elle. Elle espérait réellement avoir tord.
Ma sœur a toujours été très protectrice avec moi et cela peut s'expliquer par bien des choses. Mais je pense que voir notre frère mourir car il était trop fragile nous a fait nous rendre compte que la vie ne tient qu'à un fil et que ce funeste destin aurait pu m'arriver. J'étais moins fragile que lui mais je restais encore un bébé dans un monde très dur. Là où certains auraient été dérangés, ce ne fut pas mon cas. J'étais toujours dans l'ombre de ma sœur, à vouloir rester avec elle pour qu'on partage des choses ensemble. Je n'avais pas son caractère ou sa combativité. J'étais de ceux qui observaient et qui donnaient les informations pour aider les autres. Je n'avais pas la carrure d'une combattante, Anahil si. Et je savais aussi qu'elle entrerait dans une furie folle si quelque chose devait m'arriver. Alors je faisais toujours en sorte que tout aille bien et qu'elle n'ait pas à s'inquiéter pour moi.
J'étais contente de l'avoir trouvée dans cet endroit qu'elle chérissait tant. J'avais l'impression que cela faisait bien longtemps que nous n'avions pas partagé de moments privilégiés rien que nous deux. Ma grande sœur me manquait. J'espérais que l'on pourrait passer du temps ensemble, avant que le clan ne se réveille. Je fermai les yeux à son contact. J'aurai envie de m'y blottir, comme quand nous étions petites.
"Je vais bien. Je suis contente de t'avoir trouvée. Tu m'as manqué..."
Alors que nous nous voyions assez régulièrement. Mais c'était surtout pour des choses formelles, aucune place pour l'affection. Alors, retrouver un petit moment rien qu'à nous, ça gonflait mon cœur de bonheur.
En réalité, la Reine des Glaces se souvenait parfaitement du jour de la naissance de sa cadette. Elle s'en souviendrait toute sa vie, comme si c'était hier. Elle se souviendrait encore longtemps de sa mère qui était partie s'isoler, de son père qui lui avait interdit de venir, et d'elle qui avait courut la rejoindre. Elle se souvenait encore de son regard d'enfant sur les deux petites boules de poil qui viennent de naître. Elle les a regardé avec douceur, avec tendresse et surtout, avec un amour inconditionnel. Malheureusement, l'une des deux mourut. Son petit frère était mort, avant même d'avoir ouvert les yeux. Et en un quart de secondes, elle a comprit. Elle a comprit à quel point la vie est fragile. Elle a comprit à quel point les êtres faibles n'ont pas leur place sur cette planète. A quel point la vie est injuste, mais que nous ne pouvons rien y faire malheureusement. Et c'est pour cette raison qu'elle a prit immédiatement sa petite soeur sous son aile. Car elle ne voulait en aucun cas que la Mort vienne la prendre sans prévenir, en aucun cas que la Vie le lui arrache sans délicatesse. Alors, elle y faisait attention. Elle la protégeait autant de son regard que de son ombre. Elle la défendait bec et ongle contre absolument tout. Si elle devait tuer un congénère pour la défendre ? Elle le ferait sans hésiter, sans se poser une seule question. Si elle devait répandre le sang sur la Neige pour faire comprendre que sa soeur est quelque chose de plus importante ? Elle n'hésiterait plus une seule seconde. Sa petite soeur est l'être le plus important dans sa vie, plus que son propre clan, plus que sa propre personnalité. Elle l'aimait. Non, pire, elle était complètement obsédée par elle. Mais ça, personne ne le sait, et personne ne le saura. Pas même la première concernée.
Bien sûr, extérieurement parlant, Anahil semblait être une panthère combative, forte et extrêmement dure. Mais elle n'a qu'un point faible : Nimaëra. Et c'est sans doute pour cette raison qu'elle ne supporterait pas une seule seconde qu'on touche à elle. Car elle savait parfaitement que la cadette était blessée, qu'il lui arrivait un seul malheur, la Meneuse deviendrait complètement folle. Elle aurait perdu son pilier, et n'aurait plus aucune raison de se contenir, de devenir raisonnable et de laisser sa conscience guider ses décisions. Alors, tant qu'elle sera en vie, rien n'arrivera à la cadette. Petites, elles ont toujours eu un lien très fusionnel. Anahil marchait, et sa petite soeur était toujours derrière elle. Et aujourd'hui, c'était différent. Aujourd'hui, elles sont toujours proches, mais différemment. Les tendresses ne sont plus présentes, elles ont fait place aux plans, aux stratégies et à la vie d'adulte. Les paroles sont guidées par la vie du clan. Alors, quand Nim's lui fit part de son manque, elle hocha la tête. Sa soeur lui manquait extrêmement aussi. Elle avait besoin d'elle, elle avait besoin de sa tendresse, elle avait simplement besoin de sa petite soeur et non de sa seconde. Alors, sans hésiter une seule seconde, elle s'approcha immédiatement d'elle et vint se blottir contre elle. Elle vint mordiller son oreille comme à l'époque de son enfance.
" Toi aussi, tu m'as manqué petite soeur. " Elle s'écarta légèrement. " Profitons de cet instant de répit, tu veux bien ? "
Finalement, elle recula un instant et s'approcha de la rive de la rivière. Là, elle plongea son regard dans son reflet. Un fin sourire se dessina sur ses babines ; elle avait changé mais elle était fière de son changement. Plus les années passaient, plus elle se rend compte qu'elle ressemble à sa mère.
Avec mes yeux de bébé, je voyais en Anahil un modèle. Elle était forte et respectée, même quand elle était plus jeune. Elle m'impressionnait et je voulais être aussi forte qu'elle. Mais j'avais découvert qu'il y avait différents types de forces. Et la mienne était complémentaire de celle de ma sœur. Peut-être était-ce pour cela que ça fonctionnait aussi bien ? Je n'étais pas faite pour gérer le clan, elle oui. Et j'étais là pour l'épauler, l'aider et la conseiller. J'étais toujours restée dans son ombre étant petite, je la suivais partout, mais je savais me faire discrète. C'était encore le cas aujourd'hui. J'étais l'ombre d'Anahil dans la plupart des situations importantes. Et ça me convenait très bien comme ça.
En revanche, deux choses commençaient à me manquer. La première c'était que je ne pouvais plus sortir du territoire comme avant, depuis que j'étais devenue sa Seconde. Et la deuxième, et la plus importante, c'était que je passais beaucoup moins de temps avec ma sœur. Nous n'avions plus nos moments privilégiés, insouciants et où nous pouvions simplement profiter ensemble. Non, à présent, les seuls moments pour lesquels on se retrouvait, c'était pour discuter du clan et des membres.
J'étais très heureuse de l'avoir trouvée ce matin. Tout autour de nous était calme et paisible. J'avais l'impression de retourner en enfance, et de retrouver un petit moment privilégié avec elle. Un moment rien qu'à nous où rien ne pourrait nous déranger. Et ma sœur semblait être en manque de ces moments aussi car quand je lui en fis part, elle se rapprocha aussitôt de moi pour me faire un câlin et mordiller mon oreille. Je lui rendis ce petit instant de tendresse avec plaisir.
"Bien sûr que je veux bien. Ca fait si longtemps que je n'ai pas pu partager un moment avec toi."
Je la rejoignis au bord de la rivière et bus quelques gorgées d'eau. La fraicheur me faisait du bien et me réveilla parfaitement. Puis, je m'allongeais et contempla quelques instants mon reflet. J'étais différente d'avant. Déjà, mes yeux n'étaient plus les mêmes depuis que j'avais dormi prêt de cette stèle. Je m'étais affirmée aussi tout en restant douce et calme. Mais les membres de mon clan savaient que malgré cette apparence, je pouvais aussi être parfaitement capable de défendre les miens. Et même si je savais Anahil capable de se défendre seule, je ne manquais pas de garder un œil sur elle.
"Comment vas tu réellement ma sœur ?"
J'aimerai retrouver cette complicité entre nous, qu'elle se confie à moi comme avant.
Depuis petite, la Reine des Glaces a toujours eu une certaine confiance en elle. Sans doute, grâce ) ses parents car ils l'ont toujours considéré comme une Princesse, une future reine qui mènera loin son peuple. Mais aussi car ils avaient beaucoup trop d'espoir pour elle. Un peu trop sans doute. A une époque, elle s'était demandée si elle était réellement à la hauteur, si elle méritait ces compliments. Elle s'était même demandée si ses parents avaient eu raison de croire en elle à ce point-là. Mais grâce à la victoire qu'elle avait eu face à l'ancien meneur, elle avait comprit. Elle a comprit qu'elle était capable de tout cela, elle a comprit qu'elle était cette véritable princesse. Alors, cette confiance en elle était évidente. Et c'est pour cette raison qu'elle ne l'avait jamais perdu. Mais bien d'autres raisons ont été évidentes. La première raison est qu'elle est née seule, qu'elle allait mourir seule, donc elle savait qu'elle devra se débrouiller seule. La seconde est qu'un royaume ne se gouverne pas en étant faible. La troisième est que si elle attendait les compliments des autres, elle leur en serait dépendant et ça c'est hors de question pour elle. Et la dernière raison, mais pas la moins évidente, si elle n'avait pas confiance en elle, qui d'autre l'aurait ? Qui accepterait de la suivre ? Qui supporterait ses idées ? Mais surtout, qui accepterait une telle gouvernante ? Absolument, personne. Alors, pour elle, c'est évident : la confiance en elle est tout aussi important que l'amour qu'elle peut porter à ses proches. Bien sûr, la première raison est vite évincée par ses proches, mais cela personne ne peut le savoir.
Lorsque sa soeur vint lui rendre son étreinte, la Meneuse laissa un profond soupir de satisfaction traverser ses babines. Ca lui faisait du bien, un bien fou. En fait, elle ne se rendait pas compte à quel point sa soeur a pu lui manquer. Bien sûr, elles se voient tous les jours, elles discutent toutes les heures, mais c'est complètement différent. Leurs jeux d'antan n'est plus possible maintenant. Elles ne peuvent plus se courser comme avant, elles ne peuvent plus chasser comme des adolescentes et surtout, elles ne peuvent plus vivre inconsciemment comme durant leur enfance. Elle avait raison. Ca faisait un bon moment qu'elles ne s'étaient plus laissées aller, un bon moment qu'elles n'étaient plus redevenues de simples soeurs. Son esprit s'envola quelques instants tandis qu'elle profitait pleinement. Les yeux de la Reine des Glaces sont plongés dans son reflet, tandis qu'elle laisse son esprit vagabonder dans un monde qui n'appartient qu'à elle. Un monde où l'innocence a remplacé son envie de gouverner, où le paysage est omniprésent et surtout, où les soucis ont complètement disparu. C'est essentiellement pour cela qu'elle appréciait cet endroit : car elle pouvait être uniquement elle à cet instant. Où elle n'était qu'Anahil, et non une meneuse, où une panthère devant se battre pour son identité. Finalement, son regard se porta sur sa cadette qui venait de la rejoindre pour boire dans la rivière. Et enfin la question tomba. Elle mit une oreille sur le côté ; semblant réfléchir. Elle finit par s'asseoir, enroulant ses pattes avec sa queue.
" En réalité je ne sais pas Nim .. " Un petit soupir passa ses babines. " J'ai toutes les raisons du monde d'être heureuse, j'en suis consciente .. " Elle baissa la tête. " Mais je m'ennuie profondément .. "
J'avais toujours cru en ma sœur. C'était mon pilier et elle le resterait à vie. Elle était mon modèle, la personne en qui je me retrouvais le plus aussi. Nos moments ensemble me redonnaient toujours le sourire. Malheureusement, en grandissant, ces moments se sont fait beaucoup plus rares. Nos entrainements respectifs nous prenaient du temps. Puis, nous sommes devenues adultes et Ana a défié l'ancien meneur. Bien évidemment, elle a remporté le combat, je n'avais jamais douté d'elle. Mais cela impliquait également de nouvelles responsabilités, autant pour elle que pour moi quand elle me proposa le poste de Seconde. J'ai sacrifié certaines choses pour être à ses côtés, et je ne regrettais pas mon choix. A refaire, je referais exactement pareil. Mais certaines choses me manquaient forcément. Deux particulièrement : passer des moments privilégiés avec ma sœur, et sortir parfois de notre territoire pour récupérer des informations, comme avant. Mes nouvelles responsabilités au sein du clan ne me permettaient pas de sortir aussi librement qu'avant.
Notre étreinte nous fit du bien à toutes les deux. Un petit moment suspendu dans le temps, rien qu'à nous. Il n'était plus question de la Meneuse et sa Seconde mais de deux sœurs qui n'avaient qu'un besoin : celui de se retrouver.
Nous finîmes par rejoindre la source d'eau à proximité où j'en profitais pour m'abreuver. Ca me faisait beaucoup de bien de sentir l'eau fraiche descendre dans ma gorge. Je m'assis à mes côtés, une fois hydratée et laissai mon regard se perdre dans l'horizon après avoir posé ma question, dans un ton calme et posé qu'elle me connaissait bien. Aucun reproche dans ma voix. Juste une question, dont je connaissais en réalité déjà la réponse.
"Tu n'es pas obligée de l'être tout le temps. La vie est faite de hauts et de bas, c'est ainsi. Le tout, c'est de ne pas se laisser aller et de reprendre tout ça en pattes pour ne pas laisser l'ennui s'installer. Et tu sais que je suis là si tu as besoin. Tu as peut-être besoin de changer d'air ?"
Je savais au combien que rester au même endroit tout le temps pouvait mettre les nerfs à rude épreuve. Mais ma sœur n'avait pas autant le goût de la liberté que moi.
"Dis moi de quoi tu as besoin, et je ferais en sorte de t'aider à l'obtenir."
Je ferais tout pour que ma sœur puisse à nouveau être heureuse. Qu'elle retrouve ce sourire qui embellissait mes journées d'enfant.
En réalité, quand on y pense, dans la vie les liens fraternels sont très importants. Ils sont beaucoup plus importants que les liens amicaux. Pour de multiples raisons, ils peuvent facilement devenir vitaux. La première raison, et pas des moindres, est le fait qu'ils peuvent devenir éternels. La famille est intemporelle, elle ne changera pas. Elle nous suivra, quoiqu'il arrive. Elle évoluera en même temps que nous. La seconde raison est qu'elle est tolérante, totalement et rien ne changera à cela. Elle acceptera tous nos choix, toutes nos décisions et aussi toutes nos convictions. Elle fera aussi, sans doute, en sorte qu'on évolue vers le bien. La dernière raison, et sans doute la plus importante, elle nous aimera toute notre vie, sans nous trahir ou sans utiliser des non-dits. La famille est beaucoup trop importante pour qu'on tire un trait sur cette dernière. Et c'est sûrement pour cette raison qu'Anahil n'abandonnera jamais sa soeur. Qu'elle sera toujours là pour elle, quoiqu'il arrive. Si sa petite soeur voulait s'évader, disparaître du clan et vivre une toute autre vie que tout cela, alors la Meneuse la suivra, sans équivoque. Elle serait capable d'anéantir cette famille qu'elle avait créé, que ses parents avaient construit, sans se poser une seule question. Elle les aimait tous, mais ils n'étaient pas de son sang. Et cette promesse, elle se l'est faite mentalement dès le premier regard envers Nimaëra, dès les premiers pas qu'elle avait pu observer, dès qu'elle avait entendu sa voix. Seule sa petite soeur s'en rendait compte, mais quand Anahil croise le regard de sa soeur, elle sent son coeur s'emballer. Quand elle la voit s'éloigner, son coeur se crispe. Et quand elle l'entend respirer, elle a l'impression que leurs respirations communient entre elles.
Et cette étreinte combina tout ce qu'elle pouvait penser. Cette étreinte réchauffa son coeur, comme si le Soleil était venu le caresser délicatement. Les poils de sa soeur contre ses vibrisses lui rappela tellement de souvenirs. Ca lui rappela ces moments, durant son enfance, où elle se blottissait innocemment contre sa soeur. Où elle se collait à elle quand elle avait l'impression que ses parents lui offraient des responsabilités, un peu trop lourdes pour elle. Elle se souvint de ces moments où, furtivement, elle se glissait dans la couche de sa soeur lorsqu'elle dormait. Elle enroulait son corps autour du sien, laissait sa queue venir contre ses petites pattes, et posait sa tête sur la sienne. Oui, cette étreinte lui rappelait tous ces instants. Instants qu'elle aimerait tellement retrouver tous les jours, à n'importe quelle heure.
Et la question tomba. L'idée en l'air retomba au sol. Changer d'air ? Elle n'y avait jamais vraiment réfléchi. Elle se posa un instant, plongea son regard à l'horizon et laissa ses pensées s'évader. Changer d'air ? Mais à quoi bon ? A quoi cela pouvait-il servir ? Et surtout, en avait-elle le droit ? Si elle s'échappait quelques instants, n'abandonnait-elle pas sa famille ? Elle avait vraiment l'impression de ne pas en avoir le droit. Bien sûr, Nimaëra était sa seconde, elle pouvait lui faire confiance. Mais elle avait l'impression de les trahir, de les quitter pour de bon et surtout les mettre dans la panade. Alors, oui, en changeant d'air, elle s'en voudra sans doute très longtemps. Voire, toute sa vie. Finalement, elle reposa son regard dans celui de sa soeur.
" Tu as sans doute raison mais .. " Elle soupira. " Changer d'air, je ne sais pas si j'en ai vraiment le droit. Abandonner la famille ? Tu crois vraiment que c'est intelligent ? Ils ne m'en voudront pas ? "
Malgré qu'elle soit la meneuse, qu'elle montre à tout le monde qu'elle n'avait pas confiance en elle, elle était complètement différente avec sa soeur. Elle lui montrait son vrai visage. Celui de la panthère qui avait encore parfois peur des responsabilités qu'on lui offrait. Celui de la jeune panthère qui paniquait quelques fois du fait de grandir aussi vite. Et surtout, de la jeune panthère qui a encore peur du changement qui opérait en elle.
" J'ai besoin de toi, simplement. " Puis, elle replongea son regard à l'horizon. " Et de paix. Juste de paix. "
La famille a toujours été importante à nos yeux. J'avais toujours été proche de mes parents mais encore plus de ma grande sœur. Elle m'avait tout de suite prise sous son aile, elle avait pris soin de moi et m'avait protégée. Bien sûr, de temps en temps, je lui avais fait remarquer qu'elle était parfois trop sur ses gardes pour moi. Mais au fond, je ne lui en voulais pas. Et en soit, je comprenais. Nous avions toutes les deux perdu un frère quand j'étais née, mais elle avait été plus touchée que moi car elle était plus âgée et se rendait déjà compte des choses. J'avais grandi dans l'ignorance, personne n'en parlait. Mais j'avais compris les réactions d'Anahil quand j'avais su. Alors j'avais toujours tout fait pour qu'elle soit fière de moi. Et j'avais toujours cru en elle. Quoi qu'il puisse arriver, je serai là pour elle et je la soutiendrai. Mais, de par ma position de Seconde, j'étais aussi celle qui pouvait la raisonner si j'estimais que ses décisions déviaient de son poste. Et j'avais peur qu'elle me fasse passer avant le clan, car je savais qu'elle en était capable.
Cette étreinte nous fit grand bien à toutes les deux. Un petit moment, hors du temps, rien qu'à nous. Un moment où nous pouvions être à nouveau deux sœurs et non pas la Meneuse et sa Seconde. J'en profitai quelques instants avant de chercher à comprendre ce qui n'allait pas. Car je savais très bien que quelque chose la tracassait.
"Tu crois que c'est ça que je faisais à chaque fois que je partais en mission ? Que j'abandonnais les miens ? Bien sûr, il y a ce petit pincement au cœur quand tu t'éloignes. Mais je savais que je faisais ça pour le bien de tous. Tu sais, parfois, il n'y a pas besoin de partir longtemps. Je comprends ce qui te retiens, mais je peux assurer tes arrières si tu as besoin d'un jour ou plus pour toi. Personne ne t'en voudra de prendre du temps pour toi, j'y veillerai. Tu n'es pas dotée de supers pouvoirs. Comme nous tous, tu as besoin de te reposer et de te changer les idées parfois."
Beaucoup de choses reposaient sur ses épaules. Le problème était qu'elle avait tendance à vouloir tout garder et tout supporter, alors que je pouvais être là pour l'épauler. Je connaissais son caractère et je ne voulais pas la braquer. Alors je me contentais de lui donner des conseils et elle jugeait d'elle-même ce qu'elle en faisait. Ma tête rejoignit un instant la sienne pour un nouveau câlin.
"Je suis là, Ana, je serais toujours là. Pour ce qui est des tensions qui règnent, je suis là pour les négociations, tu le sais bien. Je peux aller à la rencontre des clans si ça peut t'apaiser."
J'étais souvent la porte parole de ma sœur avec les autres clans ou meutes. Je savais communiquer avec calme et clairement. Et j'étais assez douée pour trouver un terrain d'entente. Quand Anahil veillait sur notre famille, j'étais celle qui s'occupait de la communication et de la bonne entente entre tous. J'étais aussi celle qui supervisait certaines tâches sur place, pour l'alléger. Et ça me convenait très bien ainsi.
Effectivement, elle avait l'âge pour se rendre compte des choses à l'époque. Elle avait l'âge pour voir à quel point la mort du petit frère avait été importante, autant que ce soit pour ses parents, pour le clan ou tout simplement pour elle-même. Elle avait vu à quel point cette perte avait pu briser ses parents, d'autant plus sa mère. Elle avait vu à quel point cette dernière s'était renfermée sur elle-même, avait fait en sorte de couvrir sa dernière née. Elle l'avait aimé comme une perle tombée du ciel. Et Anahil avait comprit pourquoi, avait accepté de céder sa place quelques instants, mais surtout de prendre le second rôle lorsqu'il le fallait. Alors oui, Ana s'est rendue compte à quel point la Mort était importante, mais aussi à quel point la naissance l'était d'autant plus. Nimaëra est devenue rapidement la seconde chance du clan. Elle est devenue la Reine d'un monde tout autant différent.
Alors, sans hésiter une seule seconde, elle avait prit sa petite soeur sous son aile. Elle l'avait protégé car elle est devenue la cadette, la douceur de ce monde. Et la douceur est quelque chose d'assez rare dans cet univers, donc il faut en profiter et la cultiver d'autant plus. Elle n'aimait pas sa soeur, elle en était obsédée, il faut être honnête. Elle ferait absolument tout pour la protéger. Mais sa soeur le savait parfaitement, elle en est consciente. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle changerait. De une, car elle n'en a aucune envie. Dans un dernier temps, car elle n'en trouvait aucun intérêt.
Ses yeux se posèrent délicatement dans ceux de sa soeur et elle l'écouta attentivement. Ce qui est marrant avec sa petite soeur c'est qu'elle la tempérait rapidement. Elle, si impétueuse, si impulsive, si colérique et surtout, ayant des crises trop rapidement, se retrouvait facilement sans mot dire devant Nim's. Son impétuosité est rapidement calmée par sa soeur. Son impulsivité disparaît subtilement quand les mots de la plus jeune glissent vers ses oreilles. Et finalement, ses crises de colère se calment très rapidement lorsqu'elle vient se caler contre elle. Et c'est sans doute pour cette raison qu'elle l'aime de cette façon. Finalement, elle secoua brièvement la tête.
" Tu as raison, je suis d'accord. Mais je ne sais pas .. Depuis ta naissance, j'ai cette sensation au fond de moi qui me fait comprendre à quel point je peux être importante. Et j'ai peur de ne pas être à la hauteur, tu comprends ? Que ce soit de vous défendre, vous protéger ? Mais surtout à la hauteur des espérances des parents ... "
Okai, elle retombait dans ses travers d'adolescence. Il fallait qu'elle se calme. Durant son adolescence, elle avait caché son manque cruel de confiance en elle sous une certaine agressivité et une auto-défense inutile. Et seule sa petite soeur lui avait permit d'extérioriser ça. Finalement, elle poussa un profond soupir.
" Je sais que tu seras là. Mais ce ne sont pas les clans qui m'inquiètent .. C'est un tout. L'univers, la vie, la famille. Un tout. J'ai l'impression qu'un truc énorme va arriver. Un truc qui nous détruira .. "
Ca avait été difficile d'apprendre plus tard que je n'aurai pas dû être la seule de ma portée. J'avais grandi dans l'ignorance. Bien sûr, j'avais eu une enfance heureuse auprès de nos parents et d'Ana. Mais je sentais que quelque chose n'allait pas. Et après, je compris. Pourquoi maman était triste en posant son regard sur moi et surtout, pourquoi Anahil passait son temps à vouloir me protéger. J'avais choisi la discrétion. J'étais douée pour ça. Et même si ça restait dangereux de sortir de notre territoire, telle était la voie que j'avais choisie.
Mais aujourd'hui, je savais que ma sœur était plus sereine en me sachant à ses côtés en tant que Seconde plutôt que dehors en tant qu'Informatrice. Je le disais rarement, voire jamais, mais ça me manquait parfois. Je ne voulais pas inquiéter Ana alors je faisais souvent passer mes sentiments au second plan. Tel était mon rôle, la soutenir quoiqu'il arrive. Et si pour ça, je devais m'oublier, je le ferais.
J'étais aussi douée pour la calmer. Je savais toujours quoi dire ou quoi faire pour l'apaiser. Bien sûr, je n'avais pas réponse à tout. Mais quand cela concernait ma sœur, je savais toujours comment agir. Des paroles, des gestes, un câlin... Je n'aimais pas voir Anahil en colère, ou stressée. Alors je faisais toujours tout ce qui était en mon pouvoir pour l'apaiser.
"Bien sûr que tu es importante. Tu es chère à mon cœur, ma sœur. Tu l'es pour nos parents. Et tu es importante aux yeux de toutes les panthères de ton clan. Ensemble, nous sommes plus fortes. Tu n'as jamais déçue personne. Sois en assurée. Et tu as toujours été à la hauteur des objectifs que tu t'étais fixée."
Je la savais soucieuse pour beaucoup de choses. Elle manquait de confiance en elle depuis toujours. Je faisais de mon mieux pour l'aider. Mais les réponses, elle ne pouvait les trouver qu'au fond de son cœur.
"Un truc énorme ? Tu en as parlé à notre Chamane ? Peut-être qu'elle sait quelque chose. Mais sache que, quoi qu'il arrive, je me battrai à tes côtés."
Anahil se souvient parfaitement des premiers jours qu'elle avait pu vivre lorsque sa petite soeur est née. Elle se souvient parfaitement de la joie de sa mère lorsqu'elle s'était couchée pour mettre au monde sa seconde portée, puis de la tristesse qu'elle avait subit lorsqu'elle n'eut qu'un petit qui vivait. Elle a été si fière de porter un telle cadeau du ciel. Puis, elle s'est sentie complètement abandonnée des cieux. Elle avait sentit dans son regard à quel point elle s'était sentie seule, à quel point elle s'en était voulue. Puis elle avait vu son père. Elle avait vu dans le regard de son père toute la détresse, toute la haine et surtout toute la colère possible. Cette perte les avait totalement brisé, elle l'avait su dès les premières secondes. Mais heureusement pour la future Meneuse, sa petite soeur avait rendu leur vie beaucoup plus légère, beaucoup plus tendre. Ils l'aimaient, autant qu'elle, elle les aimait, la plus vieille en était certaine.
Alors Anahil avait accepté, elle avait cédé à la tentation. Enfin, tentation est un bien grand mot. Elle avait surtout vu dans le regard de ses parents que son destin avait été écrit dès la naissance de sa petite soeur. Elle était une Reine. Ils l'avaient su dès sa naissance, mais cela sa mère le lui avait avoué plusieurs années après. Elle était née pour devenir une Reine, une meneuse qui mènera son peuple sur une terre qui leur était due. Et aujourd'hui, elle était là, face à ce même peuple, à se poser plusieurs questions. Etait-elle vraiment capable de les mener jusque cette fameuse terre ? Etait-elle réellement capable de les voir vieillir aussi longtemps qu'elle le désirait ? Etait-elle capable de les protéger autant qu'elle le voulait ? Elle l'espérait réellement.
Mais heureusement pour elle, Anahil n'était pas seule. Elle était entourée depuis sa naissance, depuis sa prise de pouvoir, et surtout depuis qu'ils la considéraient comme la meneuse qu'elle était. Mais le plus important semblait être la présence de sa cadette. Cette dernière lui permettait de devenir celle qu'elle a toujours été au fond d'elle : douce, gentille, tendre, vulnérable et surtout, elle-même tout simplement. Alors, elle se sentait vraiment apaisée de la présence de sa soeur auprès d'elle. Que ce soit son odeur ou ses étreintes, elles lui suffisaient amplement.
" Merci, Nim's ! Tes paroles me font un bien fou, réellement ! Je pense que j'en avais vraiment besoin. " Elle lui adressa un tendre sourire. " Même si tu me connais, j'aurai toujours des doutes et j'aurai du mal à me dire que je satisfait tout le monde. "
La sincérité semblait de mise dans cette conversation. La franchise paraissait être quelque chose de très important entre les deux soeurs. Même si les gestes, les paroles et surtout la présence de la cadette l'aidait à chaque instant de sa vie, Anahil a toujours douté d'elle-même. Pourquoi ? Elle ne saurait dire la véritable raison.
" Tu as raison, je pense que je devrais aller la voir ! Tu seras la première au courant. " Elle avait peur. " Mais, je ne sais pas. Cette sensation m'étrangle. J'ai peur et je ne sais pourquoi .. "
J'avais toujours aimé ma famille. J'étais proche d'eux depuis ma naissance. Bien sûr, j'avais été surprotégée mais ce n'était pas abusif. Ils veillaient sur moi. Ma sœur avait été un peu plus démonstrative. Mais je l'aimais comme ça, et ça ne changerait pas. Alors, quand elle avait voulu devenir la Meneuse de notre clan, je l'avais soutenue. Mais aussi parce que j'étais certaine qu'elle ferait une bonne cheffe, qu'elle saurait nous mener. Et quand elle m'avait proposé de la seconder, j'avais accepté sans hésiter. Je pouvais rester proche d'elle, la conseiller et surtout être là en cas de besoin. Personne ne la connaissait mieux que moi. Et je savais toujours trouver les mots pour l'apaiser et l'aider.
Alors oui, j'avais dû abandonner mon poste d'Informatrice pour prendre celui de Seconde. Et ça me privait de cette liberté qui me faisait vivre. Peut-être qu'inconsciemment, cela me permettait un peu de m'échapper et de me débrouiller seule. De montrer que je n'étais plus la petite panthère fragile. Mais, j'étais prête à abandonner tout ça pour Anahil. Parce qu'elle avait besoin de moi et que je ne laissais tomber jamais un de mes proches. Et même si sortir du territoire me manquait parfois, je n'étais pas prisonnière de l'orage. Je pouvais demander à sortir. Mais à condition d'être certaine que tout se passerait bien en mon absence.
Je lui souris et lui répondis après une dernière léchouille sur le haut de sa tête.
"Il n'y a pas de problème, Ana. Je suis là si tu as besoin, tu le sais. Les doutes permettent d'avancer et de s'améliorer. Si tu n'avais pas de doutes, ou pas peur, tu serais une mauvaise Meneuse car tu serais trop sûre de toi."
Ceux qui étaient trop sûrs d'eux avançaient aveuglément, sans écouter personne. S'il arrivait ça à Anahil, et que je n'arrivais pas à la raisonner, alors une autre panthère la défierait. Car un chef se doit d'écouter les siens. Et quand on a aucun doute, on n'écoute personne.
"Je te remercie. Je peux même venir avec toi si tu le désires, ou si tu en ressens le besoin. Justement, notre Chamane pourra peut-être te rassurer. Ne reste pas enfermée avec cette peur. Tu dois la laisser s'exprimer et en parler."
Et notre Chamane était la plus à même pour lui donner des réponses. Moi, je ne pouvais que tenter de la rassurer, mais je n'avais pas réponse à tout.
En réalité, lorsqu'elle est devenue meneuse, Anahil a vu sa vie qu'a complètement disparu. Sa vie a prit un tournant qui lui était totalement inconnu. Mais surtout, elle a eu l'impression que sa vie a été changé en un seul évènement : le combat avec l'ancien meneur. Elle se rappellera sans doute toute sa vie de ce fameux combat. Elle se souvient surtout de son état d'esprit à ce moment-là. Elle se souvient surtout de cette envie qui lui avait traversé la tête, de cette hargne et surtout de cette rage. Elle n'en pouvait plus de ce meneur. Ce meneur qui n'écoutait absolument rien de ce qu'on lui disait, ce meneur qui vivait sa petite vie en se foutant complètement de l'avis des autres et surtout, ce meneur qui était tyrannique. Ce meneur n'avait absolument rien à faire à cette place. Et c'est pour cette raison qu'elle l'a défié.
Bien sûr, lorsqu'elle l'avait défié, elle se doutait bien qu'elle aurait pu perdre. Qu'il aurait pu la battre et la laisser pour morte sur le pavé. Mais heureusement pour elle, la jeunesse gagne assez souvent face à l'expérience et la vieillesse. Mais aujourd'hui, elle se promet une chose : ne jamais être comme leur ancien meneur. Toujours faire attention aux autres, toujours prendre en compte l'avis des autres et surtout ne jamais se prendre pour ce qu'elle n'est pas. Et aujourd'hui, elle est heureuse, elle est heureuse de voir qu'elle a pu tenir son engagement. Mais pour combien de temps ? Elle ne saurait le dire. Et c'est pour cette raison qu'elle doutait sans arrêt.
Mais heureusement pour elle, elle a prit sa cadette comme seconde. Et contrairement à ce qu'elle aurait pu imaginer, sa petite soeur n'était pas uniquement cela. Non, elle est devenue son pilier, son point de repère. Elle lui permettait de garder une patte au sol, d'avoir la tête sur les épaules et surtout, de réfléchir un peu plus à ses propres décisions.
" Tu as sans doute raison. De toute façon, je refuse de devenir comme Lui. Il a bousillé notre famille et je refuse de le faire aussi. Donc, promet-moi une chose Nim's : si un jour ça arrive, défie-moi ou fais-moi comprendre que je vais beaucoup trop loin, s'il te plaît ? "
Car oui, si un jour elle va trop loin. Elle refuse catégoriquement que ce soit quelqu'un d'autre que sa soeur ou Eldarin qui la défient. Elle ne voyait personne d'autre que ces deux-là sur le trône, elle en est certaine. Alors si elle le faisait, elle accepterait volontiers. Mieux encore, elle les laissera sans doute gagner.
" Je veux bien que tu m'accompagnes, effectivement. Ca te dis qu'on y aille maintenant, d'ailleurs ? Plus vite c'est fait, mieux c'est, tu ne crois pas ? "
Quand Anahil avait pris la décision de défier notre ancien meneur, je l'avais soutenue. Il n'était pas bon pour notre famille et nous tuait à petit feu, ne se préoccupant que de lui. Et je savais que ma soeur serait une bien meilleure meneuse que lui. Justement parce qu'elle avait le souci de bien faire, que tout ce qui l'importait, c'était de protéger son clan et de faire tout ce qu'elle pouvait pour qu'on vive bien. Bien sûr, elle doutait et souvent, elle se confiait à moi dans ces moments là. Mon rôle était de la guider et de la rassurer. Mais, moi aussi je doutais, moi aussi je me posais des questions. Parfois je me confiais, parfois non. J'étais celle qui l'aidait à avancer, celle qui le guidait vers le meilleur chemin quand elle n'était pas sûre. Mais je n'étais pas infaillible et je savais aussi écouter. Et quand ma sœur avait quelque chose à me dire, elle le faisait.
Je n'étais pas du genre à me vexer quand on me disait quelque chose, tant que c'était justifié. Et elle était pareille, c'était ce qui faisait qu'elle était une meilleure meneuse que notre ancien chef et qu'elle ne ferait que s'améliorer.
"Tu ne deviendras pas comme Lui. Tu n'as rien en commun avec Lui à part le fait d'être une panthère. Mais je te promets que si ça arrive, je ferais en sorte que tu t'en rendes compte. Mais je ne sais pas si je pourrai te défier..."
Je n'étais pas une combattante à la base. Et je ne pourrais pas m'attaquer à ma propre sœur. Je privilégierai toujours le dialogue au combat. Mais s'il n'y avait pas le choix... Alors je le ferai, au péril de ma vie. Mais l'heure n'était pas à ces réflexions car Anahil avait la tête sur les épaules et je ferai en sorte que ça reste ainsi.
"Oui, allons y. Il ne faut pas laisser ce genre de choses trainer."
Après un dernier coup de tête affectueux, je me dirigeai vers la tanière de notre Chamane, ma sœur suivant le mouvement.
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